Manifeste 2 (2017)

Est-ce vous qui avez élu un homme diminuant les prestations sociales, les indemnités prud’homales, augmentant la CSG… pour mieux payer la baisse de l’ISF ?
Est-ce vous qui avez voté pour un mouvement qui détruit le Code du travail, soit la garantie minimum des droits avec lesquels un être humain peut vivre décemment ? Sérieux ?
Est-ce vous qui cautionnez la radiation au chômage après deux refus d’offres, parce qu’apparemment la notion de plaisir et d’investissement personnel dans son travail n’aurait aucun sens pour l’épanouissement de l’être humain et même pour sa productivité économique ?
Vraiment, si tel est le cas, je vous souhaite honnêtement d’en être fier, ça vaudra mieux pour votre santé ! (..mais pas pour vos remboursements de médicaments, malheureusement)

Est-ce utile d’accuser ainsi ceulles qui savent d’ailleurs très bien que je les accuse – et ce, aux yeux de ceulles qui savent que c’est inutile d’en faire un si bref procès public ? Ainsi certains d’entre vous liront sans grand sérieux — ou se seront arrêtés à la première ligne en ayant compris la couleur —, et les autres seront d’accord et n’y verront que des enfoncements de portes ouvertes. Pourquoi faire chier si tout cela est déjà acté ? Et… démocratiquement en plus ?
Ceulles qui ont voté par conviction dès le premier tour pour ce prince machiavélien, je les méprise abstraitement. Ceulles qui l’ont élu au deuxième, je les comprends, et à la fois je leur en veux. Pourquoi imposer mes états d’âme inutiles ? Disons qu’ayant toujours été un peu susceptible ou rancunier, j’ai particulièrement encore quelques griefs contre ceux qui ont voté par défaut au deuxième tour ET qui en ont profité pour s’ériger en moralisateurs, et donc en accusateurs du vote blanc et de l’abstention.

Qu’on me traite d’intolérant voire de sectaire ; j’ai une idée de l’humanité qui, en voyant ce qu’elle devient en réalité, m’effraie. Malgré moi, j’ai peur donc je me ferme. J’ai peur et je doute de cette autre idée de l’humanité, qui se justifie en affirmant que l’incompressible « Réalité » exige telle restriction, que la conjoncture implique telle fausse rétribution, que la séduction maquillée en raison l’emporte sur la justice travestie en folie. Je suis obtus, et n’arrive plus à accepter la pensée qui domine parce qu’elle écrase avec le sourire, et à oublier le temps d’une soirée jeux que mon voisin trouve méritocratique la propriété lucrative.
Ils vous nomment demandeurs d’emploi ? vous êtes des offreurs de travail. On nous recommande avec un ton paternaliste d’être un peu réaliste, d’arrêter de fantasmer les exils fiscaux comme bouc-émissaire et panacée des trous de budget, d’avoir un peu de bon-sens, et d’accepter enfin le fait qu’il faille de nos poches citoyennes rembourser la dette ? combler le trou de la Sécu ? Nous persuader que cette dernière est une DÉPENSE publique, et que nous sommes des CHARGES sociales ? Nous obéissons, persuadés de s’être trompés dans les mots alors que nos honorables chefs ont habilement travaillé à les détourner d’année en année, et nous perdons notre verbe. Il y en a qui parlent, heureusement, qui représentent, tant bien que mal ; trop peu, en fait.

Qu’on me traite d’utopiste ; sans idéalisme, on réussira à dégrader insensiblement, chaque jour, peu à peu, notre idée de l’humain — et à s’accommoder de cette déliquescence, en se disant que ça ne peut pas être si grave que cela, tant qu’on parvient individuellement à accomplir notre petit orgasme de bourgeoisie (acquérir ainsi le beau confort matériel, auquel j’aspire moi le premier, mais qui lui aussi devient de plus en plus superflu, bercé de besoins technologiques impromptus, et toujours plus individualistes, quand le bien commun meurt de froid).

Je suis lourd, je suis vain, je suis répétitif ; mais je ne suis rien, et les droits sociaux méritent bien un Requiem.

Quant à la ceinture qu’on nous corsette avec un sermon responsabilisant : Nique la dette. « C’est pas ma guerre » comme dirait Sylvestre. Nique la spéculation. Nique la violence légitime des États policiers. Nique Jupiter Marchant sur le peuple et ses symboles impériaux à côté desquels le culte de la personnalité de Nicolas Sarkozy passe pour un jeu de rôle pré-adolescent.
Mon cul sa moralisation. Mon cul sa parité, comme si c’était autre chose qu’une illusion de solution au sexisme ambiant. Mon cul, surtout, son renouvellement de la classe présidentielle à base de société civile. C’est comme remplacer la noblesse par la haute-bourgeoisie.

Qu’on me traite de tout ; je fléchirai dans la conversation, mais face aux argumentaires moralement et financièrement ficelés, il nous reste au cœur cette idée vraie de justice.

Qu’on me moque en inactif que je suis, illégitime à me plaindre de fiche d’impôts que je ne sais même pas remplir ; pas d’action politique, pas d’emploi qui remplit mon compte, je suis suspendu entre deux mondes et c’est mes parents qui paient mes études, jusqu’à ce que, inch’allah, j’entre dans un régime de chômage que je vise sciemment (l’intermittence)…s’il existe encore dans 5 ans. En attendant, je bosse bénévolement pour des films auxquels je prends plaisir à contribuer, j’ai envie de faire mille trucs à côté que je fais pas forcément bien (ou alors lentement), je suis stressé et j’ai du mal à gérer mon temps mental ; mais j’aime ça. Ce bordel foisonnant, ça fait du sens : c’est de la vie, et pour cela je suis aussi partisan du Salaire à vie. Travailler est une contribution politique, sociale, économique, humaine ; le voir réduit à des statistiques de productivité, fixées par les déracinés oligarques, voir réduit son combat à la baisse inepte d’un pourcentage de chômeurs, c’est voir combien la civilisation n’est pas synonyme d’humanité, et produit son lot de monstruosités. Et la flexibilité ! Le mot est joli ! Pourtant, restons pragmatiques et n’oublions pas le sens, encore : d’un point de vue micro-sociologique, le plus proche synonyme de la flexibilité, c’est la précarité — et on aime beaucoup moins ce mot en général. Alors comment espérer que l’un soigne l’autre, s’il s’agit en fait du même arsenic ?

Qu’enfin on m’assène qu’il y a bien pire ailleurs, qu’il est indigne de se plaindre. Non. Il faut agir ou à défaut penser face aux immondices mondiales, c’est sûr, mais il ne faut certainement pas oublier sa propre merde sous prétexte qu’au moins Nous, nous avons suffisamment de bouffe pour la chier. C’est bientôt fini.

Alors, pour tout ça, que des personnes que j’ai côtoyées et aimées se lassent de mon irrespect ou de mon incompréhension. Qu’on me pardonne d’être pessimiste et énervé ; mais qu’on ne m’en ex-cuse pas, car je ne veux plus en être hors-de-cause ; je suis part du bordel, je m’en veux, j’en veux à ceux qui le maintiennent en pensant parfois sincèrement que ce qu’ils font est bien pour le monde, parce qu’ils sont hors-sol, alors que cela n’est bien que pour l’intérêt d’une classe. Oui, Marx et Engels ne sont pas dépassés : les castes existent toujours.
Je vomis les impunis. Soupirons, on peut toujours cligner des paupières et rire un peu pour montrer qu’on n’est pas contents. On peut scroller Facebook, pour me calmer je le fais souvent.

Que les tentaculaires réseaux m’identifient, collectent mes informations et ne me balancent plus que des pubs pour des trucs veggie ou JLM 2022, et changent mes résultats de recherche pour fermer un peu plus mon monde.

Que Collomb sache que j’ai très envie de luxer des genoux de CRS (même si au fond je suis trop lâche), et d’une insurrection Communale à l’ancienne (même si au fond je trouve ça dépassé). Que pour ces mots, il me mette dans ses petits papiers S, puisqu’on tente toujours plus d’assimiler la majorité des manifestants à des insensés, le reste des manifestants à des « casseurs », les syndicalistes à des terroristes (F.O.Giesbert) ; puisque Nuit Debout était une prise d’otage de la démocratie et une « privatisation » de la République (A. Hidalgo) ; puisque le communisme est une « folie rouge » à réprimer (Y.Moix) ; puisque l’écologie est une position qu’on nomme opposition, passible d’assignation à domicile ou de prison, tandis que ô paradoxe! le président de la République se montre plus stalinien que jamais. Le verbe, le mot, encore subtilement oblitérés.

« Communisme » effroi, soit on l’extrémise, soit on l’édulcore. Non, être socialiste (synonymes à l’origine je vous rappelle !) c’est une vision du monde radicale ; mais radicale, parce que nos chefs de guerre pointent à l’opposé, pas parce que c’est irréalisable et dictatorial.
Le communisme n’est pas contradictoire avec la propriété privée. Le communiste Ambroise Croizat a créé la Sécurité Sociale. Les combats communistes ont assuré une liberté d’expression que nos chefs préférés brandissent aujourd’hui comme leurs valeurs absolues charlie, en omettant leur origine, – alors qu’ils placent l’événement de la Révolution Française comme l’Origine absolue de République et Démocratie, pensant au peuple,..en oubliant un peu vite par qui était faite cette révolution, et ce à quoi elle a mené. On perd les mots.

Alors, en citoyen engagé et néanmoins simili-bourgeois, je suis parti en vacances en n’essayant de ne pas avoir de nouvelles quotidiennes de l’avancée humiliante (ou glorieuse, c’est selon!) du la troisième œuvre macronienne sur le Travail.
Alors, en idéaliste et néanmoins pessimiste, je vais aller manifester à la rentrée, tout en sachant que je perdrai mon temps, que le gouvernement le sait et que c’est pour ça que les mobilisations sociales ne gonflent pas davantage (ô ! un peuple désormais captif des principes individualistes de Mancur Olson). Je n’oserais haranguer, mais j’ai envie de chuchoter « allez, quand même, révoltons-nous. » bien que, si telle était une volonté coriace, cela aurait été fait en avril, ou cent ans plus tôt.
Alors, sur le sable des pavés qu’on couvrira encore de lacrymales, je vais sacrifier mon temps qui n’est pas encore de l’argent pour être égoïstement sûr de ce que je pense, et désespérément affirmé contre ce en quoi je ne crois pas. Marchons marchons, qu’aucun sang pur ou impur n’abreuve leurs sillons.

Que nos vies soient sacrifiées au profit du profit.
Que nos corps soient pourris par Monsanto-Bayer.
Que nos esprits soit vendus sur les autels que nos âmes ont délaissées.

Que le monde s’effondre.

Mais j’en ai un joli dans la tête.

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