Ben dis donc. T’as pas bonne mine.
La ville t’a vidé, la campagne t’ennuie, ne reste que montagnes en bord de lac pour distiller les humeurs.
Et encore, la grise bile se fait tenace, nous serions des Ardents au milieu des plaines de givre, mais 
les espoirs c’est pour demain car ce matin laisse-moi décaver ce vin au goût de sang devant mes trois écrans perpétuels.

Puis tu tires une gueule, aussi.
Comment veux-tu captiver ? De quoi com
ptes-tu être curieux ? Peux-tu t’imaginer sans bouche, sans boire, fumer, bière ou café, embrasser des lèvres et des sexes salins ? Au moins pourrais-tu ne plus parler, voilà bonne expiation en ce jour où les mots se courbent et se détournent. Tu serais brièvement le rhéteur silencieux que tu rêves de devenir, vive le moment délicieux d’inscrire son rêve au chômage avec comme profession « muet ».

Combien de manifestes ? Un, deux, trois, qui disent tous la même chose — du dégoût, qui crachent tous pareil — du stupre, qui tous brandissent le même slogan : Que de l’art. Pas de politique, par pitié.
Pratiquer l’un ou l’autre avec l’étrange nostalgie des pêcheurs de silure, l’illusion capiteuse de sauver l’une par l’autre, de repêcher l’autre par l’un.
Les virgules manquent sous la bille, les circonflexes comme des harpons sous la langue,
et couvrant l’azur l’amour sanguin déborde des lèvres marines.

Aujourd’hui, on a décidé qu’il était dépassé de raconter sa vie. Stories non-narratives, Instagrammes impesées, quinze caractères cinq espaces et trois krachs boursiers. Ah la belle quinte qui te secoue : ça vient des tréfonds, ça vibrionne dans les entrailles, ça sonne tierce mineure, toux staccato. Alors ne supprime rien, par pour l’instant, et imprime-toi quelque part près d’un chemin aux couleurs d’ardoise (les teintes se dissolvent sur les photos à mesure que tu clavotes)…

Je veux pas paraître anonyme, alors je tends joues et mains pour saluer. Je retiens les prénoms. Et puis silence, j’écoute et je regarde les cils inférieurs de tes paupières qui tremblent à chaque gorgée de fumée.
Je veux pas sembler cavalier, mais Qu’on nous emporte ensemble, sans avoir parlé, dans une rame bondée vers une prairie verdoyante… et qu’on s’endorme dans une pente, sous les futaies d’un orme aux feuilles changeantes, t’avais ta veste de mi-saison et il y a ton odeur qui est entêtante, alors la tête dans les nuages je t’embrasserai comme l’on chante.

Le soir bleu arrivera ; le vin, qui tape sec, blanc comme un linge, nous éloignera un peu ; il ira jouir dans le verre des autres. Alentour, c’est arbres rouges, et le vin devenait leur sang.
Ce beau pays n’aurait-il plus que trois couleurs.

 

La nuit éclatera sur nous.
Je porterai un instrument au nom barbare sur le dos
— je l’aurai troqué dans quelque bouge —
Et, las de souffler, je le martèlerai pour faire venir les gens.
Ils approcheront
Ils seront là,
très proches soudain (se connaît-on maintenant, anonymes danseurs ?)

et,   dans le ciel couvert,     terre ouverte,
nous parlerons de l’humanité jusque très tard

Puis au rivage d’un brasier
Je sentirai ma vieille tête peser
en le regardant s’éprendre.

J’oserai te raconter en murmurant de fièvre
— Toi, devenu·e la force vive qui me donne envie de ne pas dormir —
Que le meilleur des marins, c’était moi –          et tu riras
.                                       « der beste Seemann, war doch Ich ! »

Plus de lumière maintenant.
Nous nous sommes écroulés sur le cresson, sans savoir
pourquoi certains de nos cieux communs tourbillonnent…

Pour ponctuer une conversation muette,
avant que nos corps s’entrecouvrent d’ombres,

je te dirai sans syllabes :
« Dans le noir, tes blancs me grisent »

Le Pays où l'on n'arrive jamais

Réveil.

J’aime pas avoir l’air impoli, c’est pour ça que t’as ma voix en tête de bobine, c’est pas pour faire joli.

Allez, on entre classique, c’est moi qui rince, pourquoi mentir et faire du style quand ce qu’on aime c’est se plaindre et voir des blockbusters, putain et la Beauté c’est pour les pauvres ? quand ce qu’on aime, au plus profond comme une pulsion, entre tout un tas d’organes bizarres aux noms fantasques, aux fonctions incertaines, c’est sentir cette maligne vibration, savourer sa douleur, cultiver la saudade, observer que ce monde est un corps malade où dieu est mort mais trump toujours en vie. Pour ça, « qu’on ne m’excuse plus d’être sombre », même si j’ai grave envie de soleil.

Oh, ça tire un peu la gueule, mais on trouvera de jolis mondes.


Bien cordialement,

Alexis Kanåvaxatāvcz
Stupre °